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Femmes et féminisme
C’est entretenir une relation sexualisée avec un homme
et vivre dans cette relation physique un type de plaisir différent
de celui de l’homme, fondamentalement incommunicable. C’est
sans doute pour cette raison que les relations avec les femmes homosexuelles
sont pour moi difficiles. Parce que de manière idiotement
superficielle, elles ne m’apparaissent pas comme des femmes.
Et le type de désir que j’ai une fois ressenti, avec
violence, pour une femme, je l’ai vécu comme une sorte
d’érection douloureuse, agressive, totalement différent
de l’élargissement humide que me provoque le désir
pour un homme. Je me suis quelques instants senti un homme désireux
de posséder et je me suis détestée.
C’est subir les contraintes biologiques des règles,
des risques de grossesses, des grossesses non voulues. Mais aussi
c’est pouvoir enfanter. Le conditionnement féminin
par le corps est monstrueux…. Ou magique ? Pouvoir enfanter
donc mais payer ce pouvoir là par une multitude de non pouvoirs ?
Ne pas pouvoir se baigner à intervalles réguliers,
ne pas pouvoir se lever brutalement parce que le sang va trop couler,
ne pas courir aussi vite, sauter aussi haut que les garçons,
ne pas pouvoir dévaler les talus parce qu’il ne faut
pas montrer son fond de culotte. Ne pas pouvoir être grosse
par peur de n’être plus aimée.
En revanche je n’ai jamais vécu ma condition féminine
comme une source d’inégalité. Aucun souvenir
de limites imposées de manière arbitraire parce que
j’étais une fille. Mais les limitations relevant du
culturel, je les avais intégrées comme des résultantes
du biologique. Je me suis très vite imposée dans le
monde en qualité e chef. Tout en obéissant avec délices
à de nombreux hommes, dans une aliénation parfaitement
consentie. Aucun homme ne m’a infligé sa domination.
Il y a seulement ceux qui m’ont suffisamment séduite
pour que j’ai envie de leur donner la position de force qui
nous ferait également plaisir.
Etre femme, plus je vais en âge, plus cela m’a semblé
être une formidable chance, celle de ne pas être conditionnée
par la rigidité des codes masculins. La femme me semble infiniment
plus libre, libre de ses affects, libre e ses craquages, de ses
déballages intimes, de ses changements de cap en l’absence
de trajectoire sociale ascendante obligée, donc libre de
mal gagner sa vie si çà lui chante, de se faire sous
employer sans se faire mépriser.
Et tout ce que je viens d’écrire je sais bien que
c’est le délire d’une femme nantie, à
qui la vie a donné d’emblée des cartes maîtresses
qui la mettent à l’ «égale »
des hommes. En parallèle j’ai perçu l’infini
emprisonnement de la plupart des femmes, y compris celles de ma
génération, dans des rôles subalternes, dans
la soumission à l’homme propre et à leur propre
fonction maternante. Mais comme un destin qui ne me concernait pas
et, un peu comme l’expriment les femmes publiques « Reines
abeilles » méprisantes à l’égard
de leurs consoeurs qui ne suivent pas leurs traces, j’ai considéré
cette vie des femmes comme une impasse avec sortie. Seule le poids
des années vécues, des histoires de vies rencontrées
a fini par m’ouvrir le regard sur le destin des femmes. J’ai
du constater qu’être femme était indiscutablement
mon lot, au travers de la complicité de plus en plus criante
avec les autres femmes. La rivalité dans la course à
la séduction des hommes m’a longtemps éloigné
d’elles. Pour exemple : Geneviève, regardée
de loin, avec méfiance, parce que trop belle et intelligente
à la fois lorsque nous étions étudiantes, retrouvée
quinze ans plus tard, cette fois comme une jumelle, chacune ayant
fait sa vie et sa place dans un cercle différent, hors concurrence
possible. Mais lentement et sûrement je me suis éloignée
des hommes à la vérité tellement inaccessibles,
pour me sentir à l’aise et dans le partage uniquement
ou presque avec des femmes.
La grande question reste pour moi celle de la différence
entre les hommes et les femmes : nature ou conditionnement
social ? Tout au fond de moi, je ne souhaite pas qu’il
s’agisse d’un simple conditionnement, injuste et qu’on
pourrait éradiquer. Certes la société fabrique
des mâles, au prix d’ailleurs de la souffrance de beaucoup
d’entre eux. Mais je ne désire pas un monde où
la sexualité ne serait plus le meilleur passeport pour l’univers
de l’autre genre, où les hommes me deviendraient aussi
limpides que me le sont la plupart des femmes. Je suis donc différentialiste
et convaincue que dans la période humaine que nous vivons,
la mise sur orbite des caractéristiques féminines
actuelles peut aider le monde. Ceci dit, beaucoup des « qualités »
que nous nous reconnaissons sont le côté face de millénaires
de domination. C’est bien parce que les femmes n’ont
pas exercé le pouvoir qu’elles en sont moins avides
que les hommes. Etat de grâce tout provisoire où la
société commence à leur ouvrir la voie vers
ce pouvoir et où certaines d’entre elles sont encore
capables d’y adhérer sans la violence et l’acharnement
des hommes à ne jamais le perdre.
Etre une femme, pour moi ce n’est en tout cas pas ce qu’en
disent les hommes en particulier les écrivains. Je ne retrouve
pratiquement jamais une femme réelle dans les personnages
qu’ils fabriquent. Ils décrètent le plus souvent
le territoire féminin comme lieu de mystère absolu
et l’on ne peut s’empêcher de penser que tous
demeurent victimes de cette première violence nécessaire
aux hommes pour asseoir leur puissance : le meurtre du féminin
provocateur . La qualification féminine la plus intrigante
pour moi est celle d’être pétrie de mensonges
et de mystères alors que les femmes ressentent tellement
les homes comme fuyants, dissimulateurs et clos.
Des dizaines d’autres choses à dire et à penser
mais le temps manque ….pour rassembler et synthétiser.
Devenir une femme : le combat de ma vie, mon père ne
m’a pas laisser le droit d’en être une. Longtemps
j’ai juxtaposé pensée et sexe. Femme seule ment
dans la sexualité, parente des hommes pour tout le reste
et ne m’intéressant qu’à eux. Cérébrale
et putain.
L’engagement dans « Rien sans elles »
symbolise et affirme ce changement. Je ne peux pas tenter le dépassement
de ma culture d’intellectuelle petite bourgeoise que dans
le partage avec les femmes. Je me sens une femme parce que je peux
me sentir bien avec la plupart des femmes, alors que la complicité
avec les hommes requiert un référentiel électif.
Je me sens une femme parce que j’ai une parole de femme que
les femmes entendent et que j’entends la leur. Sans me forcer,
dans la fluidité.
Mais je ne parviendrai jamais à croire qu’un homme
puisse m’aimer comme femme. Parce qu’on aime pas ce
dont on a peur.
Incapable de donner une définition personnelle de ce mot.
Donc incapable de pouvoir dire que je le suis ou ne le suis pas.
Je le suis pourtant devenue au travers de mon adhésion quotidienne
à Rien sans elles. Simplement parce que je me suis conditionnée
à un regard sur le monde, déterminé par l’à
priori d’une inégalité entre hommes et femmes.
Parce que bien rodée, terriblement agaçante pour l’entourage
qui craint à tout moment de m’entendre dénicher
une atteinte quelconque aux femmes et/ou une tentation machiste
derrière tous les aléas de l’existence
Féminisme ? essayons tout de même. Croire en
la supériorité même historique et transitoire
des femmes sur les hommes. Penser que l’égalité
entre hommes et femmes ne se fera pas sans un minimum de combats,
menés par les femmes en priorité. Mais aussi refuser
de croire que l’aliénation des femmes soit de la seule
responsabilité des hommes. Ne pas mettre sur le même
plan la violence symbolique vécue par le colonisé
qui s’aplatit devant l’oppresseur et l’aliénation
de la femme à qui nul n’a jamais connu d’espace
de dignité autonome Il arrive au colonisé de vivre,
jouir et mourir dans sa dignité propre, à l’abri
de son colonisateur. Il, toujours un avant dans la colonie. Il n’y
a pas la femme d’avant l’homme, il lui est consubstentiel
.Or les relations égalitaires existent-elles ? Peuvent
elle exister ?
Annette
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